La Jamaïque,
 1600 meurtres par an
200 gangs en activité
le troisième pays le plus dangereux au monde. 

Deux ans après la chute du plus gros Don (ou parrain) de l'île, l'auteur s'est rendu sur place pour dresser l'état des lieux d'une violence orchestrée depuis toujours par les politiciens. Il a obtenu l'autorisation rarissime de suivre les policiers lors de leurs patrouilles et a passé plusieurs semaines avec les gunmen, ou criminels, dans les ghettos de la capitale - dont un Don qui s'est fait assassiner quelque temps après. Enquête journalistique indépendante sur les dessous d'une criminalité rampante qui étouffe toute une nation..

 Par l'ancien rédacteur en chef du magazine Natty Dread,
Thibault EHRENGARDT



Kartel, responsable de plus de 100 meurtres?

Le procès, et la récente condamnation du deejay Vybz Kartel, ont tellement déclenché de réactions en Jamaïque que le Commissioner of Police (ou chef de la police) Owen Ellington l'a ouvertement accusé à la télévision d'être depuis plusieurs années à la tête d'un gang responsable de la mort de plus de cent personnes ! Tout cela en avouant n'avoir aucune preuve - c'est dire s'il est convaincu de ce qu'il avance. 

Le meurtre pour lequel Kartel vient d'écoper de 35 ans de prison (causé par la perte de deux chaussures, un mot de code pour armes à feu) ne serait que la partie émergée de l'iceberg. Fustigeant les supporters du deejay qui le disent victime d'un complot judiciaire, M Ellington s'explique aussi sur des rumeurs concernant une partie des preuves utilisées contre Vybz Kartel

L' autobiographie de l'artiste reste disponible sur le net mais il affirme, pour le moment, qu'il n'enregistrera pas de musique en prison (ce qui semble peu probable).

Gangs Pon Tape

Voici une petite sélection de quelques documentaires sur les gangs en Jamaïque. 


Le documentaire sur les Killer Cops évoqué dans le livre.

Un documentaire sur les gangs, avec notamment la veuve de Jim Brown.



News flash sur la fusillade chez l'artiste Luciano.

Ce qu'en disent les Jamaïcains...

L'article du Gleaner, version papier.


Voici la traduction de la chronique des Gangs de Jamaïque (la traduction anglaise disponible en e-book) parue dans The Gleaner, le quotidien jamaïcain de référence, le 11 novembre 2013. Gangs of Jamaica? An essential reading!



Un Carnet de route gorgé de corruption,
de violence et de désespoir.

Par Glenville Ashby, parue dans The Gleaner le 17/11/2013

Thibault Ehrengardt signe un livre provocant qui transcende la violence et la folie qui hantent chacune de ses pages. Il s’agit d’un journalisme d’une précision chirurgicale, perspicace, très bien renseigné et écrit dans un style d’une brillante limpidité. Voici comment toutes les histoires devraient être racontées. C’est brut, incisif, et ça nous entraîne dans les tranchées d’un champ de bataille urbain.

Gangs of Jamaica, Babylonian Wars, se lit comme le carnet de route de Thibault Ehrengardt. Ayant eu un accès privilégié au gangs qui défigurent le paysage jamaïcain, il prend garde à ne pas succomber au sensationnalisme et reste mesuré dans ses jugements, décrivant adroitement les préjugés vicieux dont souffrent les membres de la Jamaican Constabulary Force (JCF), institution dont la mission première est de s’opposer aux seigneurs de la guerre urbains. Mais tandis que ces policiers remplissent leur mission, on se rappelle la célèbre citation de Friedrich Nietzsche : « Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. »  

L’arrestation et l’extradition spectaculaire de Christopher « Dudus » Coke qui eurent des conséquences néfastes pour le Jamaican Labour Party (JLP) n’ont pas échappées à l’auteur. Il s’agit d’un instant décisif. C’est aussi la mise en lumière de la violence jamaïcaine, fruit du mariage sacrilège entre politiciens arrivistes et criminels de haut vol.

Ici, le crime est le fruit des politiciens qui ont aligné des quartiers « garnisons » sur l’échiquier, distribuant de l’argent, des contrats et même des armes à des fins politiciennes. Il s’agit d’une situation pernicieuse aux deux parties, mise en place dans les années 70 et qui a proliféré jusqu’au point de non-retour dans les années 80 et 90. Les « Dons » collectent des impôts, et sont censés maintenir la paix sociale en échange. Après les deux dernières années, pendant lesquelles le crime a reculé et où des efforts ont été faits pour éliminer les éléments véreux de la police, on peut se demander si la civilité renaîtra un jour en Jamaïque, surtout après le retour au pouvoir du People’s National Party (PNP) et la chute de Dudus. C’est la question à 64 000 dollars. L’auteur ne semble pas optimiste outre-mesure. La société jamaïcaine est violente, le crime systématique et institutionnalisé, dit-il. Dans les années 80, il s’est répandu comme un virus mortel, s’attaquant aux métropoles américaines où la drogue et les armes ont proliféré grâce aux Gullymen, aux Yardies et au Shower Posse de Vivian Blake.

The Gangs of Jamaica dépeint une société qui marche sur la tête. La pauvreté, le désespoir, l’envie, la drogue, la prostitution et les meurtres créent une véritable catacombe sociale. Quant aux flics véreux et aux politiciens corrompus, ils ne font qu’asphyxier un peu plus le pays qui traverse une crise dont il ne devrait pas se relever avant plusieurs années. Non pas que les autorités restent inactives. Les unités de la Major Organised Crime et de l’Anti-Corruption ont obtenu quelques victoires en épinglant plusieurs  policiers « ripoux » et le PNP a promis d’assainir la situation. Néanmoins, le scepticisme persiste.

Les forces de police sont paralysées par un manque de moyens, des membres corrompus et des officiers souffrant de graves troubles psychologiques induits par une profession sans pitié. Mais on tombe aussi sur des policiers  dignes de ce nom, comme Sasha ou les Sergents McKenzie et Adams de la Mobile Reserve.

Les légendaires Trinity et Renato Adams – les Schwarzeneger de la police -, côtoient puis se confondent avec quelques-uns des pires criminels comme Rico, Ricardo Hilton, Duane Waxteen ou Dudus. Et, suivant une logique dévoyée, dans ce milieu, « vous n’êtes pas un star tant que vous n’êtes pas un monstre. »  Au milieu de cette guerre, Ehrengardt donne parole à toutes les parties, y compris au Ministre de la Sécurité Peter Bunting et au Commissionnaire Owen Ellington. Après plusieurs décennies de lutte, la Jamaïque porte des cicatrices psychologiques. Et lorsque les policiers et les Dons se croisent, les M16s, les Glocks, les MP5 et AK 47 crachent la mort aveuglément. Les résultats ne se font guère attendre, ils sont sanglants. La Jamaïque urbaine est devenue un laboratoire pour les psychologues criminels, les pédopsychiatres et autres sociologues.

Ehrengardt tente de remonter aux origines du crime, et ses efforts paient: le pouvoir politique, l’avarice et le népotisme ont donné naissance à des monstres incontrôlables mais « si vous créez un monstre, vous ne vous offusquez pas s’il écrase un ou deux bâtiments. » Alors que les politiciens ont perdu le contrôle de leurs garnisons, les affrontements entre gangs ont perdu leurs couleurs politiciennes et seul l’intérêt de chacun prévaut. La drogue, le trafic d’armes et les extorsions se généralisent. Même l’homophobie fanatique véhiculée par la musique populaire est récupérée par des politiciens soi disant éduqués qui n’ont pas d’autre choix que de suivre le rythme imposé par la rue. Une vision écoeurante et révoltante de la politique.

L’auteur s’interroge clairement sur les origines de ce morbide malaise social. Il recueille les légendes de Trench Town, il explore les mécanismes machiavéliques de la politique d’Edward Seaga, dont les rapports aux forces occultes rappellent la figure de Papa Doc en Haïti. Le fameux traité de paix suivi du One Love Peace Concert, la tentative de meurtre sur Bob Marley ainsi que la défiance de Peter Tosh qui ne voit dans les traités de paix qu’hypocrisie, sont aussi détaillés. A bien des égards, Peter Tosh s’est d’ailleurs avéré un visionnaire.

Curieusement, la violence est indissociable de la culture musicale. « Bob Marley tabassa son manager qui était tenu en joue par l’un des amis du chanteur » et « le défunt Don musical, Gregory Isaacs qui fit plusieurs séjours en prison pour détention de cocaïne et port illégale d’arme à feu, et qui était craint des plus braves... était un ami proche de Lester « Jim Brown » Coke, le père de Dudus. » Le lecteur remonte jusqu’à la naissance du reggae, peu à peu détourné, saupoudré d’une dimension violente, au détriment de ses racines contestataires rastafariennes. Il a perdu, dans le même temps, son aura messianique et sa dimension apocalyptique. Malheureusement, le dance hall a ajouté un peu de perversion au tout.

Tout au long du livre, la jeunesse déshumanisée et désespérée de Jamaïque vous scrute. Vous êtes troublé, votre âme frémit mais vous êtes désarmé. Les enfants sont avalés dans d’incessants tourbillons de violence au coeur desquels ils deviennent la proie de chefs de gangs, qui furent eux-mêmes de ces enfants perdus. Le crime a peut-être reculé à Tivoli Gardens, mais à Spanish Town, fief du One Order et du Clansmen, la paix n’a jamais été aussi fébrile. Montego Bay, de son côté, est devenue la capitale des scammers professionnels.

Gangs of Jamaica est un ouvrage gigantesque. Il est fascinant, et il accroche le lecteur jusqu’au bout. Hélas, il laisse une part d’incertitude et de vive inquiétude. Si seulement le pronostic social d’Ehrengardt était un tout petit peu plus optimiste.

Classement de l’ouvrage : essentiel.


Procès d'un coup de folie meurtrière...

Photo d'illustration
En 2012, du côté de St Thomas, le Corporal Smart devenait apparemment fou au cours d'une patrouille et abattait une femme enceinte désarmée de deux balles dans la tête et blessait sa soeur au bras avant de ses faire maîtriser par ses propres collègues. Cet incident, décrit dans les Gangs de Jamaïque, trahit sans doute le malaise profond des officiers de policer livrés à eux-mêmes. Le présumé coupable qui devait être jugé en octobre dernier passera devant le juge le 2 décembre prochain. Un procès qui s'annonce retentissant.

La SECTION 15 contre le dance hall...

Vybz Kartel, visé par la Section 15 ?
SECTION 15, son nom sonne comme une unité spéciale des forces de police. Elle pourrait occasionner plus de dégâts encore puisqu'elle concerne le Criminal Justice (Suppression of Criminal Organisations) Act, que le Parlement jamaïcain va bientôt discuter. Cette fameuse section (ou amendement) dit en substance :

Il est interdit d'utiliser un nom, un signe distinctif, un tatouage ou toute autre marque physique, de porter une couleur ou un style vestimentaire, de faire des graffitis, de produire, d'enregistrer ou de chanter une chanson faisant la promotion ou facilitant toute activité criminelle de quelque organisation criminelle que ce soit.

La Section 15 a déjà déclenché une levée de boucliers, car elle interfère avec les libertés individuelles basiques et que sa ratification serait a priori en totale contradiction avec la Charte des Droits et Libertés Fondamentaux. Un artiste devra-t-il soumettre ses textes à la police avant de les enregistrer ? Qui décide du lien entre un tatouage et un gang, entre un nom et un autre gang ? Et que dire aux gamins qui écrivent GAZA TURF ou GULLY SIDE sur les murs du ghetto, en relation à la guerre musicale que se mènent les deux grosses stars du dance hall (dont une dort en prison pour ses activités criminelles) ? Certains se demandent aussi si l'on vise la culture ou le crime (tant elles sont intimement liées dans le domaine musical).
Bref, cette terrible SECTION 15 qui n'est pas sans rappeler le GUN COURT des années 70 trahit surtout  l'impuissance criante des institutions jamaïcaines à juguler le crime organisé.



Vers des "super flics" ?

Renato Adams (The Observer)

Renato Adams, l'un des superflics les plus controversés de Jamaïque, a souvent été soupçonné de rendre la justice avec une dureté aveugle, mais jamais d'être corrompu. Retraité depuis plusieurs années de la Jamaica Constabulary Force (la police), il a toujours stigmatisé les membres corrompus de la Force et prône aujourd'hui de dissoudre la JCF pour monter une nouvelle organisation. Le but ? Repartir de zéro, restaurer la confiance du public. Adams parle de recruter les prochains officiers de police dès le collège, de les suivre depuis ces tendres années pour s'assurer de leur droiture ! La Jamaïque demeure l'un des pays les plus violents au monde et les lents progrès du gouvernement en place tendent à prouver que le mal est plus profondément ancré qu'on ne le croyait : la chute du plus gros parrain de l'île, Christopher "Dudus" Coke, en 2010, n'a pas mis un terme aux activités des gangs. Le plus gros problème reste le même, indentifié par tous (Adams le premier) mais tellement enraciné dans la société jamaïcaine qu'il semble inattaquable : le soutien politique dont bénéficient les criminels.

Ni Don, ni slogan...




Peter Bunting, le Ministre de la Sécurité, a proposé au Parlement d'interdire les chansons aux paroles glorifiant la "badman attitude". Il propose aussi d'effacer tous les portraits de Dons (ou parrains) peints sur les murs des communautés sinistrées de l'île (dans Les Gangs de Jamaïque, nous soulignons l'omniprésence de ces portraits) ainsi que tout slogan politique. Les deux partis de l'île, le PNP et le JLP, tiennent en effet des quartiers qu'ils soutiennent et arment (on les appelle des garnisons, tout est dit) et qui, en retour, se battent pour assurer leur souveraineté. Une preuve supplémentaire que, contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire, les partis politiques restent très actifs dans les guerres des gangs.

Photo : Edward Seaga, ancien leader du JLP, représenté en peinture sur l'un des murs de son quartier fétiche, Tivoli Gardens, avec le slogan " Votez JLP". Seaga fut l'un des artisans de la guerre politicienne qui ravage encore la Jamaïque. Ni Don, ni slogan politique... Dans quelle catégorie tombe donc cette peinture ?

Les larmes de Tsetsi Davis...

Moncriffe (gauche), touche Tsetsi au visage lors de la finale...
Tsetsi Davis, le boxeur professionnel que nous avons rencontré pour l'écriture des Gangs de la Jamaïque, livrait, à 40 ans passés, l'un des combats de sa vie contre son ami Moncriffe. Une victoire finale au Wray & Nephew Contender aurait été une bien belle manière de tirer sa révérence. Malheureusement, ce boxeur qui a monté un ring en bois dans le jardin de son frère pour combattre le crime dans sa communauté sinistrée de Dam Head, a perdu aux points vendredi soir. En larmes, il a avoué au Observer " avoir travaillé trop dur pour perdre ce match".

Lisez l'histoire de Tsetsi sur  : Jamaica Insula.
LA JAMAIQUE...

... 1600 meurtres par an
200 gangs en activité
le troisième pays le plus dangereux au monde. 

Deux ans après la chute du plus gros Don (ou parrain) de l'île, l'auteur s'est rendu sur place pour dresser l'état des lieux d'une violence orchestrée depuis toujours par les politiciens. Il a obtenu l'autorisation rarissime de suivre les policiers lors de leurs patrouilles et a passé plusieurs semaines avec les gunmen, ou criminels, dans les ghettos de la capitale - dont un Don qui s'est fait assassiner quelque temps après. Enquête journalistique indépendante sur les dessous d'une criminalité rampante qui étouffe toute une nation..

 Par l'ancien rédacteur en chef du magazine Natty Dread,
Thibault EHRENGARDT



5 bonnes raisons...

... de lire Les Gangs de Jamaïque d'après RIDDIM KILLA.


Cliquez sur les images pour accéder au papier.

Le destin d'un Don décapité, en deux photos.

Voici deux photographies qui résument la vie d'un Don jamaïcain, en l'occurrence Navardo Hodges, du gang Clansman, basé à Spanish Town. On le voit, sur la première, poser fièrement avec un M16, au faîte de sa gloire, un spliff (ou joint de marijuana) à la bouche, entouré de ses amis. Et, sur la seconde, on découvre sa tête, percée d'une balle et tranchée, telle que retrouvée sur une marche d'un centre commercial de Spanish Town le 22 décembre 2010. Son corps a été retrouvé quelques heures plus tard, le long d'une route voisine. Navardo Hodges avait défié le Don de Clansman, Tesha Miller et même tué sa soeur, "par erreur". Ironie du sort, sa tête de Navardo Hodges avait été mise à prix par la police qui le recherchait depuis longtemps. Elle leur a finalement été livrée "sur un plateau" et "gratuitement." Un raccourci choquant qui rappelle bien la réalité des gangs.

Photo droite : émise par la police jamaïcaine.
Photo gauche : Zuri1.com (dr) 


NEWS STREAM : Peter Bunting, actuel Ministre de la Sécurité que nous avons interviewé pour les besoins du livre, commente les derniers chiffres dans le Gleaner : moins de 1100 meurtres pour 2012, un record depuis 2003 et bien au-dessous de la moyenne de 1467 pour la période 2008-2011.

Le Gleaner commente ces chiffres dans un article récent. Et l'optimisme est tout relatif tant il est vrai que ces bonnes nouvelles reposent sur une présence de plus en plus renforcée de la police et que les chiffres restent importants alors même que Tivoli Gardens* est tom(ce qui ne fait que renforcer le mystère de ce quartier garnison nébuleux).

* Fondé dans Kingston Ouest à la fin des années 60 par Edward Seaga (du JLP), TIVOLI GARDENS est considéré comme le tout premier quartier "garnison" (armé et défendant les intérêts d'un politicien et d'un parti). Avec son accès au port et sa puissance de feu inégalé, Tivoli a toujours été désigné comme le foyer criminel le plus actif de la Jamaïque. Des tas de légendes noires circulent sur le royaume de Seaga où il a régné sans partage pendant près de 40 ans. Mais son successeur, Bruce Golding, a été obligé de laisser les USA fondre sur Tivoli en 2010 pour arrêter Dudus Coke. Depuis, la police a repris le contrôle de ce fief jusque là impénétrable. Mais tous ceux qui répétaient qu'en faisant tomber Tivoli, on ferait sombrer le crime s'interrogent sur des chiffres encore importants.  

Extrait : les états d'âmes d'un tueur à gages...

          Cedrick « Doggie » Murray, le tueur à gages du terrible gang Stone Crusher se fait abattre par  la police en 2010. On retrouve sur lui, celui qu’il appelait son « meilleur ami », un Cigpro 9 mm, ainsi qu’un étonnant journal intime où l’assassin se livre avec une authenticité… déroutante. Extrait :


“ Tout a commencé à mes douze ans, écrit-il. Ma vie a rapidement sombré dans la criminalité et la prison m'a appris beaucoup de choses - des bonnes comme des mauvaises.” Au début des années 90, Doggie se retrouve pris dans les affrontements qui opposent les deux petits gangs de Mo'Bay (et part) se mettre au vert aux States. Lorsqu’il rentre au bercail, il a appris à tuer. (…) Mais Doggie reste un tueur de l'ombre.  Son truc, ce sont les contrats. Il passe le plus clair de son temps à voyager dans l'île, pour tuer des gens. Pendant ce temps, la police élimine un à un les Dons du Stone Crusher, son gang. Désormais isolé, Doggie fait son apparition sur la fameuse liste des  most wanted en 2002 - on lui impute six meurtres dans la seule paroisse de St James et un triple homicide sur Felicity Road, à Montego Bay. Il s'enterre dans le fief forteresse de Christopher “ Dudus ” Coke : Tivoli Gardens, à Kingston ouest, en compagnie du nouveau Don du gang, Eldon Calvert. Cette période, d'après son journal, respire la solitude profonde et le désespoir d'un quotidien éloigné de ses proches. En janvier 2008, la police fait une incursion à Tivoli. La poudre parle mais au milieu du chaos, Doggie et Calvert parviennent à s'enfuir de leur appartement quelques minutes seulement avant qu'il ne soit pris d'assaut par les forces de l'ordre. L'opération coûte la vie à six personnes.

            Calvert se fait arrêter peu après. Seul et en cavale, Doggie vit deux années difficiles, avec la police aux trousses, sans savoir à qui se fier. Dudus l'accueille toujours dans son fief mais les liens semblent fragilisés depuis qu’un politicien du JLP accuse le tueur de l’avoir menacé. Doggie trouve le moyen d'y remédier lors de l'assaut sur Tivoli, en 2010. Il a toujours affirmé que son arme était au service de son Don ; il le prouve à cette occasion. Il fait même venir des membres du Stone Crusher à Tivoli pour grossir les rangs de l'armée de Dudus. Un bon moyen de prouver sa loyauté. Durant les trois jours de fusillade, Doggie se bat comme un enragé. “ J'ai fait feu avec mon AK jusqu'à ce que je ne sente plus mon index, j'ai avalé de la poudre jusqu'à ce que je me mette à suffoquer. ”  Par la grâce de Dieu, il sort vivant de cette terrible épreuve. “ Et mon Don est libre ”, conclut-il. Ayant fui au milieu des combats, Christopher “ Dudus ” Coke ne se fait arrêter que quelque temps après.

         La situation de Doggie empire. Il se retrouve dans les collines de St Andrew, perdu dans le bush, au milieu de la végétation, hanté par la peur et les humeurs suicidaires, obsédé par sa belle reine à la peau d'ébène et son bébé de six mois. “ Je suis vivant, dit-il, mais ceci n'est pas une vie. Je suis assis là et je ressasse ma vie. Hier, j'ai dû m'enfuir dans les collines, sous la pluie - fausse alerte. J'ai raté ma vie. (…) Je suis partout et nulle part, mes enfants me manquent terriblement, la vie ressemble parfois à des sables mouvants. (…) Je mène une lutte intérieure contre la peur, la dépression et la colère. J'avais tant de choses à offrir, mais j'ai laissé mes sentiments m'entraîner vers la colère, et voilà où cela m'a mené - je vis la vie d'un fugitif. J'aurai passé la plus grosse partie de ma vie avec la police aux trousses.”  Doggie tente de garder espoir mais sa “ belle reine à la peau d'ébène ” finit par le lâcher, fatiguée des coups, du stress. Il dit la comprendre, ne pas lui en vouloir. Son bébé lui manque. Doggie attend la fin avec quelques remords, mais aucun regret. “ Je ne regrette rien de ce que j'ai fait par le passé, je suis un vrai gangster, hardcore. (…) Si je suis acculé, je me battrai jusqu'au bout.” 

Retrouvez la suite dans Les Gangs de Jamaïque.
(c) Natty Dread éditions 2012



Chronique de l'ouvrage sur L'express.fr

"Après avoir lu le texte d'Ehrengardt, vous comprendrez mieux pourquoi (la musique n'est jamais très loin en Jamaïque), et vous ne l'écouterez plus jamais de la même manière..."
Philippe Brousard. ICI

Extrait : Portrait d'un DON assassiné.



Duane Waxteen, ancien Don de Tallawah Town, a été retrouvé assassiné en juin dernier. Nous l’avions suivi plusieurs semaines pour retracer son parcours. Portrait :

            « [Duane Waxteen, le Don de Tallawah Town à Kingston], on le subodore, marche sur un fil au-dessus d’un abîme de folie. (...) Parfois, son œil s'abîme comme dans un songe. Il semble alors contempler le chaos frénétique de sa vie, mêlé de terreur, d'absurdité et d'éclats de violence. (...) Autour de lui, de jeunes loups effrayants (...), les héritiers de cette humeur carnassière, (qui) perpétuent pour cette génération la litanie de mort et de barbarie qui berce Tallawah Town depuis toujours. (...) La plupart de ces gamins ne sont que des “ p’tits cons ” avec de la boue plein le crâne. Abrutis par une existence fracassée, éblouis par des chimères, ils disparaîtront sans laisser ni traces ni regrets. Waxteen, en revanche, aurait pu devenir quelqu'un d'autre. (Mais sa mère aimait trop les badman et lorsque son père se fait descendre, elle n'a pas le choix et doit se réfugier) dans le ghetto le plus violent de son époque, Waterhouse.
             À la force de ses poings, le petit Duane apprend à ses nouveaux camarades que les mômes d'uptown ne sont pas tous des lavettes. Jusqu'à s'acoquiner avec le plus terrible Don du coin, Sandokhan - figure ténébreuse des légendes urbaines jamaïcaines (voir portrait).  “Un jour, des flics ripoux avec qui il était en affaires, lui ont volé sa drogue. Tu sais ce qu'il a fait ? Il a enjambé le grillage du commissariat et est allé flinguer les trois flics avant de ressortir, avec sa came et son argent. ” Voilà à quoi ressemblent les héros d'enfance de Waxteen. Gamin turbulent, il se fait un nom dans la partie basse de la ville, la plus âpre. Avant d'y être interdit de séjour - sous peine de mort.(...)


                Au début des années 90, il monte se réfugier à Tallawah Town où il dort dans la rue, sur Coldground Park, et où il se prend de passion pour la musique. La journée, il écrit des textes qui tombent dans l'oreille d'un grand deejay. Ce dernier lui achète quelques-uns de ses plus gros tubes, 25 livres pièce. (...) Mais à 17 ans, tout bascule. “ Un type a essayé de violer ma sœur, explique-t-il. Je lui ai collé 13 bastos dans la poitrine, en plein jour, au beau milieu d'Ahcome Avenue. ” (...) Un fait d'armes resté impuni, faute de témoins. (...) Après ce premier meurtre, Duane sort donc libre du commissariat, sans une once de remord, le front baigné de triomphe. Il en rit encore : “ Je suis allé boire une bonne bière ! ”


            Aujourd'hui, lorsqu'il déambule dans son quartier, chaussé de sandales élimées, un sac de supermarché en plastique à bout de bras, Duane n'a l'air de rien. On aurait tort de le prendre pour un idiot même si, dans le fond, l'intelligence ne s'impose pas comme son arme de prédilection. Non, ses brebis, il les domine à l’instinct. Duane sent les gens. Lorsqu'il vous sonde, son regard est appuyé jusqu'à la gêne, on jurerait qu'il vous renifle. À la moindre ambiguïté, il relève légèrement la narine droite, son regard durcit, commence à se voiler… baissez alors la tête, si vous ne vous sentez pas à la hauteur. Il n'y aura pas d'autre avertissement. Duane est un mâle dominant. Et les chiens fous de sa meute se feraient trancher la gorge pour prouver leur loyauté. Une détermination dont nous allons bientôt être témoins.(…) »
 
Extrait : Les Gangs de Jamaïque, par T. Ehrengardt